brève de comptoir
Café restaurant sur les quais. Pousser la vieille porte en bois à la peinture grise écaillée et retrouver la chaleur familière, le bonjour de la serveuse qui m'appelle toujours par mon prénom. Je me pose, on m'apporte le journal, mon plat arrive, je relève la tête et vois le profil d'une jeune femme se matérialiser juste en face, au bar. C'est vrai qu'elle paraît discrète... trop discrète. Sauf qu'elle sent mon regard et l'espace d'une fraction de seconde, un sourire se dessine en coin, alors qu'elle regarde bien droit devant elle, le mur. Elle a cet air sainte-n'y-touche avec son tailleur noir et ses petits talons effilés de la même couleur bien calés sur le barreau du tabouret... pas trop mon style.
Et puis, d'un geste fluide comme en prolongement de mes pensées vagabondes, son pied quitte l'étrier improvisé pour descendre et dérouler une jambe, pointe du pied en avant pour s'enfiler précisément dans l'anse de son sac à main rouge en cuir. D'un geste lent et que je devine calculé, elle remonte alors le sac jusqu'à le saisir de sa main osseuse. Elle trifouille dans son sac de gonzesse bien rangé (je le devine) pour en sortir un paquet de tabac à rouler. Il y'a tant de mesure et de fermeté dans ses gestes, que s'en est énervant, au point que je me prend à espérer une catastrophe d'une verre qui se renverse. Mais rien n'arrive. Je souris cependant à cette fantaisie quand elle se colle la roulée sur l'oreille.
Puis la serveuse arrive et dit comme à son habitude une petite chose sympathique et enfin la miss Parker se déride un instant, creusant une fossette sur le menton... Mmmh une fossette... Elle se lève, tressaille légèrement à son prénom lancé dans l'air à la suite d'un au revoir de la serveuse... et Christelle s'en va, sans un dernier regard, ou peut-être quand même une hésitation en refermant la porte tournée vers moi.