Jungle core
Ca faisait plusieurs mois que je n'avais pas été à un concert de la sorte. C'était à Quimper, en plein centre, sur la place du théâtre de cornouailles. Il n'y a que mon amie Manue pour m'emmener dans des sons pareils au milieu d'une foule de dreads, de chemises kakis, de chiens à harnais, de cracheurs de feu qui mendient à la fin du spectacle pour s'offrir des bières, des bières par caisses de bouteilles explosées sur les pavés, la violence plus ou moins contenue de jeunes ou moins jeunes face à une société qu'ils exécréent à coups d'affiches ou de tags "be poor".
J'ai mis un moment cette fois-ci à m'approprier la musik pour entrer dans la transe collective. Je me sentais décalée, sans pour autant en danger. J'étais partie téléphoner un peu plus loin, en revenant, je suis tombée sur 3 meufs au design enragé qui te dis "dégage connasse" dans un coin de rue sombre. J'avais encore le sourire de ma conversation téléphonique ce qui fait que quand elles m'ont dit bonjour alors que je passais -bien forcée- au milieu de leur trio, je me suis retournée et suis revenue sur mes pas pour leur demander "comment ça va vous?". Interloquées, avec leur dégaine "je ne parle pas aux gens, tous des cons", elles ont soudain changé de visage pour sourire aussi, on a parlé 2 minutes et elles m'ont souhaité "un bon kiffage du pur son".
La bénédiction des teufeurs en poche, je pouvais rejoindre le coeur de la place. Je regardais les gens, tous ces gens qui, pour la plupart se collaient aux baffles énormes en complète transe. Des meufs aussi, pas mal de meufs avec des looks d'invincibles et puis la butch avec son tee shirt bleu au milieu de tout, complètement mal dans sa peau, ne sachant pas bien sur quel pied danser, tellement pas sensuelle, désarticulée, mais qui avait un super pote qui faisait tout pour la faire entrer dans la danse, qu'elle se lâche! Je suis allée retrouver Manue pour boire une bière, elle était avec un mec qui se la jouait ange gardien. Manue, elle est comme ça, elle est tellement belle que tout le monde veut être son ange gardien. Il m'a parlé de son amour pour elle quand elle partie sur un coup de tête, oui parce que Manue elle est comme ça aussi, complètement imprévisible. Je savais qu'à un moment où l'autre il allait finalement tenter sa chance avec moi. J'ai regardé la barwoman en lui disant "pas mal hein?" il m'a répondu "oui, je ne lui ai pas encore dit que j'étais amoureux, je me rapprocherais bien pour lui dire qu'on la trouve pas mal" J'ai eu un air entendu, il a capté ma gouinitude et s'est barré presque en courrant. Ca me fait marrer les gens qui se la joue "fuck la société, vive la liberté" et qui, au premier tabou, détalent la queue entre les jambes.
Après ma bière j'ai retrouvée Manue collée aux baffles à son tour, en transe. Je l'ai laissée puisque qu'elle est tellement perchée dans le son qu'elle ne capte plus rien. Je suis retournée près de la butch, j'avais envie de lui dire un truc du style "t'as pas besoin de te mettre moche pour être gouine, t'as pas besoin de te mettre en guerre pour vivre" mais j'ai rien dit, je me suis mise à danser tranquilement, j'étais dans un rayon vert qui me faisait triper en même temps que les images mettant en scène des mains qui défilaient à 100 à l'heure et puis d'un coup la musik m'a pris, et là j'ai dansé sans plus m'arrêter, jusqu'au dernier son de basse, jusqu'à expiration du dejerido... Je voyageais, faisais l'amour, j'étais ici et ailleurs, dans toutes les dimensions à la fois, tout ça à l'intérieur de moi.
Braver les interdits, c'est ce que j'aime dans ce genre de faune décadente. La plupart font mine d'en vouloir à la terre entière, la plupart revendique sur sa tronche l'associabilité, mais en fait, sitôt que tu donnes ton écoute, sitôt que tu franchis leur mur d'invincibilité ce sont des flots d'amour qui débordent et que personne -faut croire- n'a pris la peine laisser couler. Ils ont peur, plus que quiconque, se veulent différents, mais au fond, ils ont tous une petite étincelle de rêve, qu'il suffit de rallumer en les rassurant parce non, c'est pas con de croire en ce qu'on aime, non c'est pas con de croire en ceux qu'on aime.